« France »,  ce projet qui ne se débat pas…

Pas de vision partagée, pas de programme commun. Pas de programme commun, pas d’avenir commun. Quel serait le sens de ce projet qu’on appellerait France ? Quelle serait cette vision partagée d’une France consensuelle ? Ce projet dans lequel le plus grand nombre d’entre nous devrait pouvoir se retrouver, ce projet qu’il est urgent aujourd’hui de définir, de débattre et de concrétiser, si l’on veut avoir une chance de se construire ensemble un avenir commun.

Qui a intérêt à penser et à construire la France ?

C’est quoi ce projet France ? Quels sont ses fondements ? Quels sont ses objectifs ? Qui doit en fait partie ? Doit-il prendre en compte le passé ? Le présent ? Ou seulement une France à venir ?

La France a t-elle un sens ? Est-il partagé par tous les Français ? Ce projet France se réduit-il au projet des Français, ou bien revêt-il quelque chose de plus ? Quelque chose qui pourrait être partagé par tous ceux qui souhaiteraient contribuer, plus largement ? Tant et tant de questions de fond auxquelles il faudrait pouvoir répondre, avant d’espérer se mettre d’accord sur un programme, et sur un candidat… 

De nombreux intellectuels ont traité le sujet, et ce depuis bien longtemps… De nombreux acteurs et activistes, de tous bords, ont fait des propositions et défendu leurs visions. Quelques partis politiques se sont même appropriés la question… Mais pourquoi s’y intéressent-ils, eux ? Qui est concerné par ce projet ? Qui s’intéresse à la France ? Ceux qui ressentent un héritage commun ? Des valeurs partagées ? Un devenir commun ? Quel que soient les réponses, ce sont toujours ceux qui ont un intérêt à la France. Ceux pour qui la France est, de près ou de loin, un enjeu personnel et donc potentiellement collectif. Tous ceux qui sont dans la France, qui agissent sur la France, parce que c’est bon pour eux.

Alors qui ? Tout le monde ? Exceptés ceux qui n’ont aucun intérêt à construire ce projet, ni même à le penser. Et ils sont nombreux, ceux qui ne font pas partie du jeu.

Ceux pour qui la France n’est pas un enjeu. Ceux qui n’ont rien à y gagner. Ou beaucoup à y perdre. Ceux qui sont hors du processus mais pourtant parties prenantes : parce qu’ils sont nés en France – ou parce qu’ils n’y sont pas nés mais contribuent sur le fond à la réussite du projet. Ceux qui sont dés-intégrés, dans tous les sens du terme. Ceux qui ne sont plus reconnus comme en faisant parti – parce qu’ils ont perdu leur emploi, parce qu’ils sont différents, parce qu’ils sont ailleurs, parce qu’ils ne s’expriment jamais, etc.

Tout ceux qu’il faut impérativement (ré)intégrer, si l’on veut avoir la moindre chance de prétendre parvenir à un consensus réel, aussi faible soit-il.

Parvenir à un vrai consensus, c’est (ré)intégrer toutes les parties prenantes du projet France

Car cette non prise en compte des acteurs dans leur ensemble a des impacts négatifs sur la vie du projet.

  • Elle mène à la volonté de construire ailleurs, ce qui nous prive d’énergies précieuses – combien sont-ils à quitter le territoire, affaiblissant encore un peu plus le projet ?
  • Elle pousse à se centrer sur ses seuls intérêts particuliers et à se servir du projet France pour se développer – combien sont-ils à cesser de contribuer, tout en continuant d’en tirer les bénéfices, déséquilibrant fortement la gestion global du projet…
  • Elle mène au rejet pure et simple du projet, jusqu’à à la volonté de le détruire. Les tristes et récents événements illustrent malheureusement cette dynamique, qui n’a aucune raison de s’arrêter, tant que les protagonistes n’auront pas un réel intérêt à contribuer au projet France de façon positive – autrement dit tant qu’ils ne seront pas reconnus en tant que parties prenantes influentes….

Parce que, pour que tout le monde s’intéresse au projet France, il faudrait déjà que tous les acteurs soient reconnus en tant que parties prenantes actives du projet et qu’ils aient les moyens d’y contribuer…

Et si l’on parvenait à intégrer tout le monde – ce qui semble déjà frôler l’utopie, tant cela viendrait affaiblir les intérêts de ceux qui font la France aujourd’hui – cela donnerait lieu à une situation tellement inédite qu’elle en effraierait sûrement plus d’un. En effet, les débats, et le processus démocratique, aussi imparfaits soient-ils, feraient probablement émerger une vision totalement neuve du projet. La France aurait un autre visage. Mais ne serait-ce pas justement, le visage de la France ?

Ce projet France, sommes-nous réellement capables de l’envisager ?

Serions-nous capables de construire sur des fondements plus représentatifs de la réalité, plus « partagés », n’en déplaisent aux détenteurs d’une identité contemporaine tronquée ? Capables de se tourner vers l’avenir, prenant en considération le long terme, au sein d’une Europe et d’une communauté internationale qui garantiraient la paix ?

Rien n’est moins sûr, et les freins presque insurmontables. Car en effet, lHistoire nous rappelle sans cesse combien il est plus simple de détruire que de construire, combien il est plus simple de re-construire que de construire, tout court (dans une re-construction, le projet se réfère toujours à un passé qui rassure et qui motive, le consensus général s’en trouve grandement facilité, et les actions menées, individuelles et collectives, toujours plus puissantes). De la même façon, il est toujours plus facile de construire « contre » quelque chose que de construire vers quelque chose. Ces points expliquent, entre autres, la capacité du Front National par exemple, à embarquer des millions de personnes derrière un projet France fédérateur, idéalisant un passé glorieux et stigmatisant des ennemis de la nation. Le même processus que Daesh…

Pourtant, il nous faudrait être capables de concevoir et de faire vivre un projet sans se fédérer contre un ennemi, sans héritage homogène commun qui dessinerait une identité claire, sans repères simples sur ce que nous devons viser… Capables de faire mieux, que jamais.

Un projet inconnu et incertain

Est-ce vraiment possible ? Comment peser contre l’efficacité redoutable, si « génératrice de sens », d’un mouvement religieux, d’un parti sectaire ou plus communément, d’un groupement homogène d’intérêt plus « local » – syndicats, communauté d’intérêt, associations, régions historiques, etc. ?

Comment dégager un méta-sens, quelque chose qui viendrait au-delà des intérêts particuliers « compter » pour le plus grand nombre ? Ce quelque chose ressemblerait à quoi ?

A quelque chose de nouveau. Pour construire ensemble ce projet France, il faudrait affronter la peur de l’inconnu et oser inventer, oser s’accorder sur une vision qui n’a peut-être encore jamais été projetée. Cet ennemi, qui nous fédère si efficacement, le plus souvent incarné par d’autres peuples devrait être remplacé par un ensemble de valeurs, que collectivement, nous ne voudrions pas léguer à nos enfants et qui nous aiderait à définir ce que nous sommes et ce que nous visons. (Les 4 Millions de personnes descendues dans la rue aux lendemains des attentas de Charlie Hebdo témoignent d’un terrain favorable, même si ces 4 Millions de personnes n’étaient pas représentatives du collectif France réel…).

Et de cette hypothétique vision de la France, incertaine mais partagée, découlerait tout le reste. Car si l’on connaissait les objectifs à atteindre, et que l’on souhaitait vraiment les atteindre, autrement dit si l’édifice à construire avait vraiment un sens pour nous tous, alors nous accepterions de changer la structure, afin qu’elle soit la plus adaptée possible, dans un esprit de consensus, de compromis et de négociation constructive.

Si une vision de la France était partagée par le plus grand nombre, il serait alors possible de mener des réformes, de changer des lois ou même de modifier un régime pour l’améliorer.

God bless F… Oups, pardon… Serons-nous capables d’inventer une alternative ? De fédérer autour d’une ambition laïque ? Sans se confronter à qui que ce soit ? Serons-nous capables de relier les traits qui nous rassemblent ? De dessiner un chemin que tout le monde accepterait d’emprunter, et qui servirait, d’une façon ou d’une autre, les intérêts de tous les Français ? Un chemin qui donnerait un sens laïque et civique aux destins individuels, un destin qui donnerait un sens au collectif France. Sans que personne n’ait peur d’y perdre, ni de s’y perdre ? Une utopie à la Française…

Mais France, quand-même, débats-toi… Car s’il fallait débattre d’une chose, ce serait de toi. Il faudrait déterminer, ensemble, ce que seraient tes envies et tes rêves, pour aujourd’hui et pour demain. Quelqu’un a des propositions ? Si jamais nous y parvenions, nous serions les acteurs visionnaires d’un « destin collectif hors du commun »… Nous ne sommes plus à un paradoxe près…

Partager l'article
Tweet about this on TwitterShare on LinkedInShare on FacebookShare on Google+Email this to someone
Commentaires
  • Bluenove
    Répondre

    Enthousiasmant et remarquablement écrit! Le plus fantastique projet d’intelligence collective dont on pourrait rêver en effet … Les méthodes et les technologies pour parvenir à le réaliser et à mobiliser l’ensemble des parties prenantes sont déjà disponibles. Comme suggéré, le plus grand challenge est celui de notre volonté individuelle et collective. La question n’est donc plus ‘comment faire pour…?’ ´mais plutot ‘Et si nous osions?’
    Merci pour cet article