Transition énergétique : l’impossible mais inévitable co-construction ?

Actuellement examiné au Sénat jusqu’au 19 février, le projet de loi relatif à « la transition énergétique pour la croissance verte » a été adopté par l’Assemblée nationale, en première lecture, le 24 octobre 2014. Il a pour principal objectif de renforcer la lutte contre le dérèglement climatique et de renforcer l’indépendance énergétique de la France, notamment en diversifiant ses sources d’approvisionnement.
Dans la mesure où un tel projet implique une multiplicité de parties prenantes hétérogènes (Etat ; entreprises ; usagers ; organismes internationaux), sa faisabilité dépend principalement de la façon dont les acteurs concernés vont réussir – ou non – à se concerter et à travailler ensemble. Mais comment faire pour mettre en synergie des univers hétérogènes pendant la construction d’un objet complexe ? C’est toute la question stratégique de la co-construction.

Une loi non consensuelle par excellence

Issue d’un compromis politique effectué dans l’optique des législatives de 2012, où le PS et les Verts avaient difficilement négocié des accords électoraux communs, c’est peu dire que la loi de transition énergétique est loin de faire l’unanimité, y compris pour la majorité politique qui est censée la défendre.

Dans la mesure où l’application de cette loi remettrait en cause des privilèges énergétiques qui relèvent d’un secteur stratégique et très outillé pour défendre ses intérêts, il est également évident qu’elle allait donner lieu à de farouches passes d’armes à l’intérieur du champ politique.

Les débats ont été vifs entre les rapporteurs socialistes et l’opposition UMP-UDI

Dès septembre 2013, lorsque les cinq rapporteurs ont présenté le projet de loi devant la commission parlementaire spéciale qui avait été créée pour l’occasion, les débats ont été vifs entre les rapporteurs (socialistes) et l’opposition (UMP-UDI), celle-ci accusant la majorité de vouloir passer en force avec une procédure législative accélérée. Auditionnée par la commission, la nouvelle ministre de l’écologie, Ségolène Royal, a assuré qu’il ne s’agissait pas de « limiter le temps de parole », ni de « bâcler » ce débat parlementaire, mais de « répondre à l’urgence et à l’attente des territoires qui sont souvent en avance sur la législation », ainsi qu’à l’attente des entreprises (BTP, Energies renouvelables) qui ont tout à gagner du grand chantier de la rénovation énergétique du bâtiment.

Elle a également souligné que cette loi était « la consécration, dans notre droit positif, des notions de croissance verte, de territoires à énergie positive et d’économie circulaire » et rappelé les principaux objectifs chiffrés de la loi : « baisse de la part du nucléaire dans la production d’électricité (de 75 à 50 % d’ici 2025) et réduction de moitié de la consommation énergétique finale entre 2012 et 2050, via la montée en puissance des énergies renouvelables, terrestres et maritimes ».

Enfin, elle a surtout insisté sur la démarche de « co-construction du texte avec le parlement » 1, formule qu’elle ne cessera d’utiliser lors de ses prises de parole publiques sur le sujet.

Qui a pensé et rédigé la loi ?

Mais la question qui nous importe est ailleurs. Elle ne porte pas sur la « co-construction du texte avec le parlement » – formule de rhétorique d’autant plus creuse que la ministre venait d’annoncer une procédure législative « accélérée » qui limite le nombre de lectures du texte devant le parlement –, mais sur la co-construction du texte lui-même, c’est-à-dire sur l’ensemble des parties prenantes qui ont présidé à sa rédaction.

Comment les différentes parties prenantes furent-elles représentées et qui décida en dernière instance (l’Etat, les écologistes ou le secteur énergétique) ? Autrement dit, ce qui nous importe est de savoir si ce texte a déjà fait l’objet d’une véritable co-construction, en amont même de sa rédaction.

Une tribune pour demander aux pouvoirs publics une nouvelle méthode de concertation

En décembre 2013, alors que les consultations autour de la future loi de transition énergétique allaient commencer, une équipe de professionnels du secteur a rendu public une tribune intitulée « Transition énergétique, une loi à co-construire » 2, dans laquelle ils prenaient acte d’un processus lacunaire de négociation et invitaient les pouvoirs publics à  mettre en place une nouvelle méthode de concertation.

  • En premier lieu, le collectif de signataires rappelle que la transition énergétique ne peut pas se faire sans le consentement des acteurs concernés, précisément parce que l’ « autoproduction » et l’ « autoconsommation » énergétique – qui constituent les piliers de la future loi – ne peuvent pas faire l’objet d’une imposition contrainte et centralisée.
  • Ils soulignent également que la co-construction de la transition énergétique a déjà commencé au niveau régional (Aquitaine, Bourgogne, Rhône-Alpes, Poitou-Charentes…), puisque certains territoires ont déjà fait le pari de l’autonomie énergétique.

Une équipe de professionnels du secteur a rendu public une tribune intitulée « Transition énergétique, une loi à co-construire » – Décembre 2013

En effet, toutes ces régions ont déjà mis en place des formes de coopération énergétique, elles « contractualisent des partenariats avec des communautés de communes rurales qui ne veulent pas subir de plein fouet l’explosion des coûts de l’énergie, et prennent leur destin en main : programmes de maîtrise de l’énergie, bâtiments intelligents, aides aux habitants pour la rénovation, projets d’énergies renouvelables ré-appropriés par la collectivité et les citoyens… ». D’ailleurs, certaines régions ont déjà ajusté leurs appels d’offre pour tenir compte de la transition à venir : «  La région Aquitaine a lancé, en 2013, un appel à projets autoconsommation pour des bâtiments industriels et tertiaires qui démontre, à travers les premiers projets éligibles, que ce modèle fonctionne tout à fait, à la fois technologiquement et économiquement ! ».

Selon les signataires de cette tribune, ces exemples viennent surtout contrarier les « tenants du modèle énergétique centralisé et nucléariste à la française » et montrer qu’il existe une véritable opportunité économique pour l’ensemble du secteur.

Les parties prenantes oubliées militent pour la co-construction d’un nouveau groupe de travail

Pourquoi écrire une telle tribune ? Précisément parce que les défenseurs du système énergétique actuel ont déjà manœuvré en coulisse pour définir les contours de la future loi.

Prenant acte de la composition du premier groupe de travail consultatif où la majorité des parties prenantes stratégiques est ignorée ou sous-représentée – « les PME sont sous-représentées, les parlementaires et les maires ne sont pas invités, les pilotes d’expériences locales déjà menées sont oubliés, les associations de consommateurs et celles de défense de l’environnement sont ignorées, etc. » – et prenant acte de la souveraineté de l’Etat en dernière instance – « Quant au rapport final, il ne sera pas co-construit mais rédigé par un seul acteur : l’administration » –, les auteurs proposent de s’inspirer du processus consultatif mis en place lors de la modernisation du droit de l’environnement 3 et ils militent pour la co-construction d’un nouveau groupe de travail.

Quant à ce nouveau groupe de consultation, il devrait idéalement réunir quatre conditions minimales :

  1. l’ensemble des parties prenantes serait équitablement représenté dans la gouvernance collégiale
  2. la méthode de travail serait définie collectivement
  3. la documentation serait établie contradictoirement
  4. et l’ensemble des acteurs et des territoires serait équitablement représenté.

En somme, il s’agit de mettre en place les conditions d’une véritable co-construction de la loi, afin d’optimiser sa  pertinence et de faciliter son application future.  

Un dossier sensible…

Actuellement, la loi est examinée au sénat. Il sera intéressant de suivre le processus législatif pour voir si les requêtes de cette tribune seront entendues et validées par les pouvoirs publics, mais il y a fort à parier que ce dossier hautement sensible – puisque la question énergétique est une question politique et géopolitique par excellence – ne puisse pas faire l’objet d’une véritable co-construction… Les dernières informations dont nous disposons à ce jour, témoignent pour l’instant dans ce sens :

http://www.liberation.fr/politiques/2015/02/09/transition-energetique-vers-un-bras-de-fer-senat-gouvernement_1198838

http://www.rse-magazine.com/Transition-energetique-le-reseau-action-climat-s-insurge-contre-des-amendements_a1037.html

http://www.lemonde.fr/energies/article/2015/02/09/plan-le-senat-fait-revenir-en-force-le-nucleaire-dans-la-loi-de-transition-energetique_4572915_1653054.html

Focus 1
La co-construction énergétique à l’échelle d’une commune,
l’exemple de l’île de Sein

Si l’on voulait trouver un exemple de co-construction énergétique avant même que la loi ne soit votée, il serait opportun de suivre le débat qui anime actuellement l’île de Sein.

En effet, une partie de la population milite pour une transition capable de rendre l’île énergétiquement autonome et indépendante, tandis qu’une autre partie milite pour préserver le statuquo : 450 000 litres de fuel consommés par an pour produire de l’électricité. Comment passer du fioul aux énergies renouvelables (éolien, hydrolien et solaire), c’est précisément l’objet d’une société « IDSE, Île de Sein énergies », créée par des îliens en 2013, mais cette question anime les habitants depuis plus de vingt ans.

Comme l’explique un des promoteurs du projet – qui a réuni une soixante d’actionnaires –, il s’agit de pouvoir se substituer juridiquement à EDF, qui possède pour l’instant le monopole énergétique de l’île : « Techniquement comme financièrement, c’est solide, il existe déjà des îles autonomes en Europe : il faut à présent faire sauter le verrou réglementaire qui empêche toute expérimentation » 4

Mais le projet de réforme juridique (un amendement déposé en ce sens a d’ailleurs été rejeté par le Gouvernement et l’Assemblée Nationale) possède également un enjeu financier. En effet, pour le surplus d’électricité produit à Sein, EDF touche actuellement 400 000 euros par an (par l’intermédiaire d’une taxe affectant l’ensemble des consommateurs) et IDSE revendique de pouvoir disposer de cette somme.

Sur place, une telle revendication ne fait pas l’unanimité. Pour Henri Le Bars, comme pour la majorité du conseil municipal élu en mars dernier, le projet de cette société n’est pas crédible et il est préférable de s’en remettre à EDF pour réduire la dépense énergétique : « Donner ainsi 400 000 euros par an à une société peu transparente, dont le projet est flou, est impensable » 5.

Enfin, tandis que le débat fait rage, une seconde association est née sur Douarnenez pour dénoncer une « entreprise de déstabilisation » de la part d’EDF et l’ensemble des partisan du projet ont désormais le regard tourné vers le Sénat : « L’amendement visant à donner aux territoires insulaires non interconnectés de moins de 2000 habitants la possibilité de choisir un autre opérateur sera débattu début 2015. La dernière chance ? » 6.

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