Co-construire la décision politique…

Une sixième République ou une première Démocratie ?

Qu’est-ce que la Sixième République ? Cette notion – qui désigne un régime politique français hypothétique qui succèderait au régime actuel – connaît un succès médiatique grandissant, à la mesure du discrédit qui affecte la classe politique. Schématiquement, il s’agit d’en finir avec le monarchisme de la Cinquième République et d’introduire davantage de « démocratie » à l’intérieur de la République.
Pour autant, il n’est pas aisé de déterminer la nature de cette nouvelle forme composite de gouvernement. S’agit-il de mettre en place une République parlementaire, sociale et écologique, qui maintiendrait le privilège des élus en matière législative, ou s’agit-il de mettre en place une véritable Démocratie, c’est-à-dire une véritable co-construction citoyenne de la loi ? L’idée même d’une République démocratique n’est-elle pas simplement une contradiction dans les termes ?

Portrait de la Vème République en monarchie déguisée

Comme l’ont remarqué de nombreux acteurs et observateurs, la Vème République repose sur un texte composite qui affirme que son principe fondateur est le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » (art. 2) – c’est-à-dire l’autogouvernement de la majorité –, tout en conférant au président de la République – c’est-à-dire à un seul citoyen – un vaste ensemble de pouvoirs qui apparente la fonction présidentielle à une véritable fonction royale d’Ancien Régime.

Si l’on s’en tient au texte lui-même, et aux pratiques auxquelles ils donnent lieu, il est indéniable que la Constitution actuelle transforme le président en véritable monarque de la République :

  • il « veille au respect de la constitution » (art. 5)
  • il nomme le Premier Ministre » et « les autres membres du gouvernement », sur proposition du Premier Ministre (art. 8)
  • il « préside le Conseil des Ministres » (art. 9)
  • « promulgue les lois » et peut « demander au Parlement une nouvelle délibération » (art. 10)
  • il peut « soumettre au référendum » un projet de loi, une réforme ou un traité (art. 11)
  • il peut « prononcer la dissolution de l’Assemblée Nationale » (art. 12)
  • il « signe les ordonnances et les décrets » et « nomme aux emplois civils et militaires » : conseillers d’Etat, grand chancelier de la Légion d’honneur, ambassadeurs et envoyés extraordinaires, conseillers maîtres à la Cour des comptes, préfets, représentants de l’Etat dans les collectivités d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, officiers généraux, recteurs des académies, directeurs des administrations centrales (art. 13)
  • il « accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires » (art. 14)
  • il est le « chef des armées » (art. 15)
  • il peut prendre des « pouvoirs exceptionnels » exigés par les circonstances (art. 16)
  • il possède le « droit de grâce » (art. 17)
  • il peut « prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès » (art. 18)
  • il négocie et ratifie les traités internationaux (art. 52)
  • enfin, il est le « garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire » (art. 64) et préside simultanément le « Conseil supérieur de la magistrature » (art. 65).

Au final, la Constitution de 1958 – coécrite par et pour De Gaulle – offre ainsi la possibilité d’un régime ultra-présidentiel, dont l’élection au suffrage universel direct renforce l’autorité ; mais elle offre également la possibilité d’un régime mixte (présidentiel et primo-ministériel), lorsque le président ne possède plus de majorité parlementaire à l’Assemblée (période dite de cohabitation).

Dans tous les cas de figure, la Constitution de la Vème République dessine les contours d’un pouvoir exécutif fort, qui s’accommode volontiers d’un parlement atrophié et d’une justice aux ordres. 1

La Sixième République : une République démocratique ?

La notion de Sixième République est apparue dans l’espace médiatique en 2001, lorsque François Bastien et Arnaud Montebourg ont fondé la Convention pour la Sixième République.

Le 8 décembre 2001, un premier modèle de Constitution – composé de trente articles et réactualisé en 2014 – a été rédigé pour servir de base de travail. Quant à l’esprit de cette nouvelle République, il repose sur plusieurs principes ou axiomes fondamentaux :

  • un régime primo-ministériel (où le gouvernement exerce l’ensemble du pouvoir exécutif)
  • un président de la république qui ne gouverne pas (il représente la France dans certaines instances internationales et constitue le garant du bon fonctionnement des institutions)
  • la régulation des mandats électifs (désormais limités à deux mandats simultanés et consécutifs)
  • la représentativité des assemblées (abandon du système majoritaire au profit du système proportionnel)
  • le renforcement du rôle législatif du parlement
  • la simplification des procédures de révision de la Constitution
  • la création d’une véritable Cour constitutionnelle (avec une saisine citoyenne et une soumission automatique des lois et règlements avant promulgation)
  • l’indépendance de la justice (avec une stricte séparation des magistrats du siège et des magistrats du parquet et la création d’un Conseil Supérieur de la Justice strictement indépendant du pouvoir politique)
  • enfin, le renforcement du pouvoir des collectivités locales et l’extension du droit de vote (pour les étrangers résidant légalement depuis cinq ans sur le territoire national et à partir de seize ans pour les citoyens nationaux) 2.

Ce sont ces mêmes principes qui serviront de fil directeur à la rédaction d’un livre « La Constitution de la Sixième République », publié en 2005 aux Editions Odile Jacob, qui exposera le principe fondateur et les détails techniques de cette nouvelle Constitution.

Quant à la nature du principe fondateur de la Sixième République, il consiste en quelque sorte à dé-présidentialiser la République afin de lui restituer sa « nature démocratique », comme si la Cinquième République avait perdu le caractère supposé démocratique de la Quatrième.

S’exprimant en mai 2013 dans une tribune du journal Le Monde, François Bastien décrit en effet la Sixième République comme le « simple rétablissement de principes démocratiques élémentaires : responsabilité politique, juste représentation, participation citoyenne » 3. Le principe de responsabilité politique désigne ici un régime primo-ministériel qui détermine et conduit la politique de la nation « sous le contrôle d’un parlement capable d’exprimer les voix plurielles des citoyens ». Le principe de juste représentation correspond pour sa part à l’abandon du système majoritaire et son remplacement par un système proportionnel, la régulation des mandats électifs et la parité systématique. Quant à la participation citoyenne, elle suppose de renouer avec l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui stipule que les citoyens « ont droit de concourir personnellement » à la formation de la loi : « La VIème République, explique François Bastien, doit proposer de nouveaux outils participatifs et délibératifs aux citoyens, des modes de coconstruction des politiques publiques, une large capacité d’interpellation des pouvoirs quels qu’ils soient, en prenant garde à articuler chaque fois décision et participation » 4.

Il est évident que ces déclarations d’intention constituent des avancées d’envergure au regard de la Constitution actuelle ; néanmoins, il est important de rappeler que de tels propos sont susceptibles d’entretenir la confusion générale.

En effet, s’il s’agit de rétablir des « principes démocratiques élémentaires » au sein de la République, pourquoi s’obstiner à garder comme référentiel principal la « République » et pourquoi s’obstiner à maintenir la « Démocratie » au rang d’attribut secondaire ? En outre, s’il s’agit de « rétablir » les « principes élémentaires de la démocratie » à l’intérieur de la République, cela suppose que ces principes existaient à l’origine, ou cela suppose qu’ils ont existé historiquement, ce qui reste à prouver.

D’une certaine façon, le modèle théorique de la Sixième République se retrouve dans une position délicate – voire intenable – dans la mesure où il cherche à effectuer la synthèse entre deux modèle théoriques parfaitement hétérogènes, voire contradictoires. Le modèle de Sixième République cherche en quelque sorte à démocratiser la République, comme si ces deux modèles politiques – la Démocratie et la République – pouvaient simplement fusionner entre eux. Mais pourquoi s’obstiner à maintenir une telle confusion conceptuelle ?

Entre République et Démocratie, il faut choisir

De quoi parle-t-on exactement lorsque l’on parle de « République » et de « Démocratie » ? Quels sont ces fameux « principes élémentaires de la démocratie » qu’il s’agirait de « rétablir » et qui serait donc habilité à les définir ? Peut-on parler de « République démocratique », comme le fait notre constitution actuelle, sans commettre le risque d’entretenir – involontairement ou volontairement – la confusion générale autour de ces notions.

Par ignorance ou par stratégie, on continue d’associer la « République » et la « Démocratie », comme si ces deux termes désignaient approximativement la même chose. Pourtant, s’il est vrai que ces deux formes de gouvernement trouvent leur raison d’être face aux mêmes ennemis communs – la tyrannie, l’aristocratie, la monarchie ou la dictature – elles appartiennent néanmoins à deux univers constitutionnels et politiques strictement distincts.

Alors que la Démocratie – d’origine grecque – désigne un gouvernement de la majorité par elle-même où les politiciens sont les citoyens eux-mêmes, la République – d’origine romaine – désigne le gouvernement d’une minorité élue – les patriciens issus de grandes familles aristocratiques – sur une majorité de plébéiens – agriculteurs, artisans, soldats – où la politique se transforme insidieusement en métier. En République – gouvernement des élus –, c’est une minorité de représentants professionnels qui dicte sa loi ; tandis qu’en Démocratie – gouvernement de n’importe qui –, ce sont les citoyens qui co-construisent la loi. Dans ces conditions, on voit mal comment il serait possible de fusionner constitutionnellement deux modèles qui reposent sur des principes diamétralement opposés.

En outre, comme les gouvernants et les gouvernés ont souvent l’habitude de confondre les mots entre eux et de confondre les mots et les choses, il est nécessaire de rappeler que la forme démocratique de gouvernement ne possède – pour l’instant – aucune existence historique (hormis la parenthèse athénienne qui fut très éphémère et la parenthèse suisse qui dure encore, parenthèses qui se rapprochent du concept sans pour autant le rejoindre).

Il est également nécessaire de rappeler que c’est la forme républicaine de gouvernement qui s’est imposée historiquement pour devenir la forme universelle de gouvernement, reléguant la Démocratie au rang de folklore local (sur 197 Etats reconnus par l’ONU en 2012, on compte actuellement 136 républiques, 34 royaumes ou sultanats, trois principautés, et neuf unions ou fédérations).

Enfin, n’en déplaisent à certains qui ne connaissent pas l’histoire, il est également nécessaire de rappeler que la France ne possède aucune tradition démocratique, elle qui a péniblement adopté le modèle républicain (sous sa forme présidentialiste) après quatorze constitutions successives (de 1789 à 1958), trois rois, deux empereurs et un maréchal.

L’invention grecque : la co-construction citoyenne de la loi

En quoi consiste exactement l’invention grecque de la Démocratie, invention qui restera historiquement sans lendemain ? Si l’on veut se faire une idée de l’aspect révolutionnaire de cette invention, dont le processus de théorisation et d’application s’étend sur près de 170 ans (de 508 à 338 av. J.C.), il suffit de présenter sommairement les grands principes qui régissent la cité athénienne : démocratie directe, tirage au sort et rotation rapide des charges politiques.

I) La souveraineté émane de l’ensemble des citoyens, sans distinction de naissance, de fortune ou de fonction. À partir de sa majorité, le citoyen possède deux droits fondamentaux : l’isonomia (égalité devant la loi) et l’isegoria (égalité devant le droit de parole). Non seulement le citoyen ne peut être assujetti à quiconque, et il possède les mêmes droits que tous les autres, mais il peut également défendre ces droits en prenant la parole dans les assemblées politiques et juridiques. En prime, l’ensemble des magistratures est réparti – par tirage au sort ou par vote – entre les citoyens, si bien que chaque citoyen qui accomplit ses obligations civiques peut accéder – au moins une fois dans sa vie – à quelque charge publique importante.

II) Le citoyen exerce son pouvoir par l’intermédiaire de l’Assemblée (Ecclesia) qui se réunit au moins dix fois par an et à laquelle tous les citoyens ont le droit d’assister. Cette Assemblée possède des pouvoirs élargis – elle surveille les magistrats, dirige la défense du pays, vote des procédures d’exil contre les opposants supposés au régime (ostracisme), décide de l’incorporation d’un nouveau citoyen et traite de la constitutionnalité des lois –, et toutes les questions peuvent lui être soumises, dans la mesure où elles sont affichées publiquement avant les séances. Surtout : tous les citoyens peuvent – en droit – y prendre la parole et voter (on suppose que les délibérations les plus importantes réunissaient entre trois et six mille citoyens).

III) Un Conseil (Boulè) composé de 500 membres tirés au sort est chargé de préparer les travaux de l’Assemblée pour que celle-ci puisse statuer dans les meilleures conditions. Les membres de ce Conseil (bouleutes) possèdent des prérogatives particulières : ils perçoivent une rémunération modeste et sont exemptés – durant le temps de leur mandat annuel – de toutes obligations militaires. Dans la mesure où il prépare le travail de l’Assemblée et où il est chargé de surveiller quotidiennement l’administration et l’application des décisions prises, il va de soi que ce Conseil joue – en fait – un rôle institutionnel bien plus déterminant que l’Assemblée.

IV) Enfin, ce Conseil – qui siège tous les jours en séances ordinaires et publiques – est placé sous la présidence du conseil des Prytanes, qui exerce le rôle de comité directeur du Conseil (un rôle analogue à celui exercé par la Boulè à l’égard de l’Ecclesia). Le Conseil des Prytanes (composé de cinquante membres renouvelés mensuellement) désigne – quotidiennement et par tirage au sort – le président du Conseil (prytane epistate), qui devient, pendant vingt-quatre heures, le chef suprême des institutions du régime ; ce qui signifie que la plus haute fonction politique d’Athènes est quotidiennement tirée au sort 5.

Au final, l’invention grecque de la démocratie consiste essentiellement à dé-professionnaliser la politique, c’est-à-dire à éviter que la politique devienne un métier et que le gouvernement soit confié à ceux qui veulent gouverner. En pratique, il s’agit donc de mettre en place ce que Jacques Rancière appelle le « gouvernement de n’importe qui ».

Introduction à l’archidémocratie

www.archidémocratie.com – Le site Web

Que faudrait-il inventer, si l’on voulait cheminer sérieusement vers la démocratie ? Puisque la démocratie reconnaît à chacun une compétence politique, elle peut se définir comme le gouvernement de n’importe qui et elle exige – en pratique – l’abolition de tous les privilèges à gouverner. Ce qu’il s’agit d’inventer, ce sont donc – en priorité – des procédures conformes à l’exigence démocratique, c’est-à-dire conformes à l’exigence d’un partage effectif et transitoire du pouvoir politique.

Dans ces conditions, la première urgence consiste à rappeler aux gouvernants et aux gouvernés que la politique n’est pas – en démocratie – un métier, mais une mission ponctuelle de service public.

En pratique, cette mission consiste à co-construire la décision politique, c’est-à-dire à trouver le point d’équilibre et le point d’expression de l’ensemble des parties prenantes d’une décision. Si l’on voulait mettre en place une véritable Démocratie, c’est-à-dire une véritable déprofessionnalisation de la politique, et non une énième République à l’accent démocratique, il faudrait inventer des règles adéquates.

Par exemple, la matrice de principes exposée dans Archidémocratie : principe d’exemplarité des gouvernants ; principe d’équité des prétendants ; principe du mandat unique ; principe d’irréversibilité ; principe de réinsertion ; principe de co-construction des lois et principe du tirage au sort 6.

Enfin, si l’on voulait mettre en place concrètement le principe de co-construction citoyenne de la loi, on pourrait s’inspirer de l’exemple suisse qui constitue actuellement l’unique exemple au monde – à l’échelle d’un pays – d’application d’un tel principe… (Lire l’article)

Emmanuel Nardon
Philosophe, écrivain, son travail de recherche se situe à l’intersection de la philosophie, de l’anthropologie et de la politique.
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Notes:

  1. Cf. Archidémocratie, François Barnoud et Emmanuel Nardon, Les éditions du Cliquet, Chapitre III ; archidemocratie.com.
  2. http://www.c6r.org/
  3.  http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/05/03/changer-de-regime-avec-une-vie-republique_3170201_3232.html#UUwZIZ0ogPHdxjOx.99.
  4. http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/05/03/changer-de-regime-avec-une-vie-republique_3170201_3232.html#UUwZIZ0ogPHdxjOx.99.
  5. . Archidémocratie, Les éditions du Cliquet, Chapitre II ; archidemocratie.com.
  6. Cf. Archidémocratie, Les éditions du Cliquet, Chapitre III ; archidemocratie.com.